dimanche 9 mai 2010

"De toute façon, nous, les Français, avons trop profité."

Alors que nous nous baladions dans les rues de notre future nouvelle ville de résidence, la Privilégiée et moi-même, nous sommes tombés sur une brocante qui occupait toute l'avenue principale. Nous nous mîmes donc à déambuler en espérant trouver un objet qui serait du plus bel effet dans notre nouvel appartement.

Alors que nous stationnions près d'un stand, j'avisais deux hommes qui étaient en train de deviser à la terrasse d'un café sur le problème des retraites. C'était surprenant, cher lecteur, d'entendre ainsi des individus parler d'un thème pareil un dimanche après-midi pendant une brocante. Les deux suspects étaient semble-t-il eux-mêmes suffisamment âgés pour profiter eux-mêmes de ce repos bien mérité. Intrigué, je tendais donc l'oreille en espérant saisir une conversation de haute-volée, et là, j'entendis cette phrase :
"De toute façon, nous, les Français, avons trop profité."
Essayant de saisir le contexte, je compris que les deux septuagénaires (ce n'est qu'une supposition) comparaient nos retraites à celles des Grecs et suggéraient que nous serions bientôt au même régime.

Au-delà de l'aspect politique des choses, c'est le terme "profité" qui m'intéresse le plus. Je suis toujours curieux des personnes qui mettent de la morale en politique. En effet, le fait de dire que les citoyens profitent insinue que ce que nous faisons est illégitime, car il n'est pas bon qu'un homme parte trop tôt en retraite, car c'est au travail que nous sommes heureux. De fait, le régime de retraites dont nous bénéficions serait donc carrément immoral.

Or, la politique n'a que faire de la morale. Le débat sur les retraites se pose sur deux axes :
1) Qu'est-ce veulent nos concitoyens ?
2) Est-ce réalisable et comment ?

Le fait de dire que les Français ont trop profité va à l'encontre même de la logique démocratique. Si nous avons des retraites comme elles sont aujourd'hui, c'est que nos ancêtres, à un moment, ont soutenu la mise en place de ce système. Peut-être nos concitoyens ne le soutiennent plus aujourd'hui ? Peut-être estiment-ils qu'il faut travailler davantage ou moins ? Peut-être préféreraient-ils en finir avec la répartition et aller vers un autre système ? Toutes ces questions sont rationnelles et peuvent parfaitement être posées.

Encore faudrait-il que nos dirigeants souhaitent vraiment que nous puissions nous exprimer sur le sujet, mais, de ma petite mémoire politique, je n'ai pas souvenir qu'une seule campagne électorale se soit centrée sur ce thème. En 2007, ce sont la sécurité, le travail et le pouvoir d'achat qui étaient au-devant de la scène. Les retraites ne furent pas évoquées.

En démocratie, la morale n'a pas sa place. Personne n'a à me dire si je profite trop ou pas assez, car chaque citoyen a sa propre morale et estime lui-même ce que doit être sa vie. Par contre, je suis parfaitement prêt à me confronter démocratiquement aux autres et à faire triompher mon point de vue. Si je perds, je travaillerai comme la majorité l'aura décidé, et je respecterai le système, tout en continuant à prôner mes idées et mes valeurs.

J'espère en tout cas que mes deux vieux étaient prêts à s'appliquer cette vision à eux-mêmes, à leurs enfants et à leurs descendants. Si les Français ont trop profité, cela signifie donc que eux aussi, et j'espère qu'ils vont avoir l'honnêteté de reprendre rapidement le travail.

6 commentaires:

  1. Le terme profiter peut il se dire de quelque chose pour laquelle tu a versé tous les mois de l'argent pendant 42 ans ?

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  2. D'accord entièrement sur un point : mélanger la morale et la politique est toujours dangereux.

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  3. Tu rigoles, eux l'ont mérité leur retraite, ce sont ces raclures de gauchistes grévistes qui profitent du système!

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  4. @ Vservat : pour moi, non, mais pour mes deux vieux, oui, apparemment.

    @ Didier : miracle, un point de convergence !

    @ Manuel : arrête de jouer au droitier, cela ne te va pas du tout.

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  5. Pas tout à fait d'accord sur le fait que les retraites n'aient pas été évoquées pendant la campagne des présidentielles puisque le débat d'entre deux tours a opposé Sarkozy et Royal sur ce point et d'ailleurs Sarkozy avait promis de revaloriser de plus de 30 % les petites retraites et 3 ans après je crois que nous en sommes à peine à 5 % et que les retraites n'étaient pas un problème avant 2020 !

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  6. @ Pazmany : oui, Sarkozy n'a absolument pas parlé d'une nouvelle réforme en tout cas.

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