dimanche 8 février 2009

Les rues de Tokyo



Bonjour, je suis allé manger chinois hier avec ma femme et 2 amis japonais, quand au fil de nos discussions et des différents récits de nos péripéties françaises et japonaises, j'ai raconté une histoire que je vais déposer sur ce blog.
Je crois ce sera mon premier billet tiré d'une histoire vraie vécue par moi...
J'ai vécu quelques années à Tokyo il y a déjà quelques années à essayer de survivre en vendant aux piétons de Shinjuku des bijoux de toutes sortes.
Un emplacement, un stand, et voilà.
Au Japon, il ne vaut mieux pas rater le train, pour ceux qui ratent le train, il y a des cartons, on s'allonge par terre et on se réchauffe avec.
Pour ceux qui ratent le train, le tout n'est pas d'attendre le suivant ou le premier du matin, il n'y en a pas, le train de la société ne passe qu'une fois.
Bien sûr, comme partout il y a les récalcitrants, ceux qui ont trop bu et qui sont resté à quai, titubant, les yeux hagards, le mieux pour eux c'est de continuer dans l'ivresse, on supporte mieux le froid avec quelques grammes de Saké dans le sang.
Vous me direz que c'est la même chez nous, mais je vous assure que le bus de nuit c'est bien pratique, même s'il est moins rapide que le train.
Là où je veux en venir, c'est que lors de mon expérience de travail outdoor, derrière la ligne de la légalité j'ai rencontré de très près ce monde parallèle de la rue, ce monde qui, s'il est marginalisé, existe bien et mène sa vie parallèle tant bien que mal.
Ne vous inquiétez, je ne vais pas vous jouer du violon sur la misère de la rue japonaise.
Au Japon le travail au noir est illégal, le travail sans permis de travail est également illégal.
Le Japon est un pays très stricte, un pote français a mis une claque à un japonais dans un convenience store, il a pris 3 semaines de prison, amusez à dépasser la date butoir de votre visa, c'est le même tarif avec une interdiction de séjour sur le territoire de 5 ou 10 ans.
Bref, ce billet va être long...
J'ai découvert dans les rues de Tokyo, un univers parallèle, un univers fascinant, une économie parallèle permettant aux exclus de toute sorte de survivre dignement, dignement vous vous demandez? Et bien dignement car je n'ai pas vu de charité la bas, je n'ai pas vu de gens faire la manche, j'ai vu des SDF gagner leur vie grâce à cette économie parallèle.
Il y a des stands à Ramen, la soupe aux nouilles, dépliés aux 4 coins de la ville avec table, chaises, cuisinier, il y a les vendeurs de fringues, cintres, porte cintres, et le tour est joué.
Mais il y a mes préférés, les vendeurs de journaux et magazines d'occasion.
Les japonais sont friands de mangas, ils achètent massivement des hebdomadaires énormes remplis de mangas de toute sortes à lire dans le métro.
Nous avons donc toute une chaîne de métiers alternatifs qui s'est formée autour de cet amour pour les mangas.
Un stand, assez grand, avec des centaines de magazines, de journaux, vendus moitié prix. Je vous jure qu'ils font un chiffre d'affaire très important, permettant un emploi à plein temps pour 2 ou 3 personnes.
Les vendeurs sont des exclus de la société, mais ils ne sont ni ivrognes ni drogués, ils manipulent de l'argent, gèrent une caisse, organisent le stand, et doivent parfois affronter la police, mais j'y reviendrai plus tard.
Ces vendeurs gagnent environ 50€ par jour.
Ce système a un double avantage, d'abord celui de donner une activité et un revenu aux démunis mais également l'avantage du recyclage, une activité entièrement écologique!
Nous avons plus bas dans cette chaîne les fournisseurs de ces quotidiens.
Ils écument les rames et les stations de métro, les rues, les poubelles pour ramasser et remplir leur caddy des précieux magazines qu'il revendent ensuite aux vendeurs pour 10 ou 20cts selon la date d'édition, la popularité et l'état du papier. Ces ramasseurs exercent cette activité souvent à plein temps, même s'il existe des intermittents du ramassage.
Quel que soit leur taux d'activité, ces derniers sont souvent très marqués par la vie, l'alcool ou la drogue.
Je les connaissais tous, j'ai passé 2 ans et demi à passer mes journées à travailler dans ces rues, je peux même dire que je me muais régulièrement en employeur.
En effet je ne pouvais absolument pas quitter mon stand et comme le rendre mobile me prenait environ 30mn, je demandais à mes amis les intermittents du ramassage ou de l'aide aux stands, de venir me remplacer, d'aller me chercher à manger, à boire, des cigarettes, en échange d'une pièce, d'un sandwich, d'une boisson ou d'un paquet de cigarettes.
Pas de vol, confiance, incroyable.
D'apparence, ils sont comparables aux personnes que vous voyez dans les rues de Paris ou d'ailleurs, avec le bout de carton maladroitement griffonné demandant une pièce pour manger, vous voyez?
Nous étions plusieurs stands par quartier, tous tenus par des gaijins, et nous employions tous, nos amis de la rue, nous les avons côtoyé pendant des années, avons beaucoup discuté avec eux, connaissions leurs fortunes diverses, leurs histoires malheureuses, leur avions donné des noms, car les leurs étaient durs à mémoriser pour des novices de la langue japonaise et aussi parce que certains ne parlaient pas.
Je ne peux m'empêcher de vous en décrire quelques uns...
Pikachu, un vieil homme barbu, sans dents, très marqué, adorable, ayant sombré dans l'alcool, la drogue et la rue après avoir été licencié de chez Mitsubishi après avoir été victime d'une attaque cérébrale.
Kombawa (bonsoir en japonais) qui disait toujours kombawa et qui ne voulait pas travailler mais nous vendre des bricoles trouvées dans la rue (stylos, paquets de mouchoirs, briquets...) Il ne parlait pas, il ne faisait que négocier les prix de manière très habile. Lui aussi, un vieil homme, marqué.
Shatsho (patron en japonais), l'homme à tout faire, moins marqué que les deux autres, il vendait, travaillait tout le temps mais ne savait pas quoi faire quand il avait trop gagné d'argent. Il avait disparu pendant 2 semaines et était réapparu avec environ 500€ gagné en bossant sur un chantier, il voulait absolument nous en donner car c'était trop pour lui, vraiment gentil cet homme.
Je reviens au sujet, la police passait presque tous les jours devant ces stands, y compris le mien, parfois ils nous demandaient de fermer, sans conviction, nous ne fermions pas, personne ne fermait, nous étions tolérés.
Soit, c'est du travail au noir, mais enlever ce travail à ces gens revenait à les condamner, et les policiers le savaient pertinemment.
Bien sûr, la mafia locale supervise tout ça, prend une part du gâteau, mais pour une fois, est-ce négatif?
Alors je ne suis pas en train de vous dire qu'il faudrait que la même chose puisse exister en France, mais en France, le fait est que les pauvres existent mais je n'ai pas vu d'économie parallèle aussi bien organisée, répartissant aussi bien les richesses et permettant aux plus pauvres de s'en sortir.
Je voulais vous raconter cette histoire car ça me réchauffe le cœur de me la remémorer.
Billet personnel, mais j'espère qu'il vous aura diverti.

Sources images:
Shinjuku
Homeless
Ramen yataï

34 commentaires:

  1. J'adore ton histoire, qui est en phase avec l'image que je me fais du Japon. Ce pays me passionne, et je rève d'y aller (avec Falconette, on aimerait bien un voyage de noce en Cipango...)

    Merci du billet en tous cas. Un plaisir réel à lire.

    Bon dimanche

    RépondreSupprimer
  2. Merci Faucon, c'est un pays qui sort de l'ordinaire par des biais assez inattendus, parfois durs à comprendre pour un esprit occidental.
    Je te conseille le voyage!

    RépondreSupprimer
  3. C'est un billet passionnant et qui donne à réfléchir.
    (à propos du libéralisme dans la rue ? ...)
    Et comment tu en es arrivé à aller vivre au Japon ? Est ce que tu savais au moins un peu parler japonais ?

    RépondreSupprimer
  4. Le libéralisme dans leurs rues est très ancien, les commerces ambulants ont survécu à la rationalisation de la société.
    C'est une économie très hiérarchisée et organisée, avec tout en haut de l'échelle une mafia ancestrale, traditionnelle et très importante dans leur société.
    Nous n'avons rien de tout ça chez nous, il n'y a pas de gardien de l'ordre autre que la police en France. Et la discipline n'est pas notre fort...

    RépondreSupprimer
  5. Aller au Japon était une suite inattendue d'un long voyage et la langue, je l'ai apprise sur le tas, en vendant.

    RépondreSupprimer
  6. Super billet en effet. T'as vécu dans combien de pays en tout ? :)

    RépondreSupprimer
  7. Vous devriez en faire plus souvent, des comme ça ! Je me découvre, depuis quelques années, une assez forte admiration pour le peuple japonais. Même si je sais que je ne mettrai jamais les pieds là-bas.

    RépondreSupprimer
  8. @ Manuel : merci pour ce billet. Tu m'as remémoré cet été où j'étais venu te voir et où tu m'avais fait découvrir, fasciné que j'étais, ce petit monde.

    J'ajouterais aussi que se rajoute, pour un Occidental comme moi, la fascination de la rue japonaise, où que l'on soit, et du dépaysement total que cela provoque. Pour moi, qui n'ait pas eu le temps de m'y habituer, ce fut un choc terrible et en même temps salutaire.

    Comme disait l'autre, les voyages forment la jeunesse. Après celui-là, je me suis dit que les moins jeunes pouvaient aussi en prendre de la graine.

    RépondreSupprimer
  9. Merci Rubin, Didier et Mathieu.
    @Rubin: trois pays.
    @Didier: J'ai un peu d'appréhension à faire des billets un peu trop personnels comme celui là, mais comme j'en ai un peu marre de refaire le monde, c'était très agréable d'écrire ce billet.
    Sinon je n'aurais jamais crû que vous admiriez les japonais... Ils sont forts, disciplinés, extrêmement polis, naïfs, curieux, timides, vraiment adorables.
    @Mathieu: s'y habituer se substitue au choc. Mais je pense que le voyage ne forme que s'il est appréhendé avec modestie et ouverture d'esprit, et dans la majeure partie des cas, le voyage ne sert qu'a emmagasiner des souvenirs sans véritablement s'imprégner des cultures et modes de vie locaux.

    RépondreSupprimer
  10. Y'aurait bien la charge/décharge des camions les jours de marchés mais des salauds de jeunes lycéens ont déjà piqué la place...

    Sinon pour la vente à la sauvette viens voir dans mon quartier, tu verras certainement des Ronex et autres articles de qualité que tu vendais ;)

    RépondreSupprimer
  11. C'est pas de la vente à la sauvette, c'est une économie parallèle organisée et tolérée.

    RépondreSupprimer
  12. Fabrice, je ne vois l'intérêt de ta comparaison. C'est une réaction tristement réductrice...

    RépondreSupprimer
  13. Pour ton information et pour clouer le bec à ton "terriblement réductrice" je t'informe que les chiffonniers et autres biffins parcourent la France depuis longtemps, et qu'ils n'ont pas attendu tes mémoires pour exister...

    Cette économie parallèle a aussi toujours été tolérée. Enfin jusqu'à récemment quand les bobos et autres gens des beaux quartiers (par ailleurs ardents défenseurs de la libre entreprise) ont décidé que de voir la misère sous leurs fenêtres était par trop désagréable et qu'il fallait faire partir ces goujats qui faisaient leurs poubelles pour trouver de quoi revendre.

    RépondreSupprimer
  14. Manuel : oui, vous avez raison, ils sont tout cela (qui me plaît déjà beaucoup). Et, en plus, ils sont Japonais et semblent, d'après ce que je sais, bien décidés à le rester, fût-ce au prix de quelques sacrifices.

    RépondreSupprimer
  15. @Didier, ils sont fiers d'être japonais, sans aucun doute, malheureusement, cela se perd, la très appauvrissante influence américaine fait disparaître petit à petit la culture japonaise chez les nouvelles générations. Même un pays aussi traditionnel que le Japon a du mal à ne pas tomber dans le vide culturel avec la présence depuis 1945 de G.I Joes sur tout le territoire. Peut-être y a ou y aura-t-il une prise de conscience, je ne sais pas.

    @Fabrice: Je m'excuse platement d'avoir pensé et soutenu que ce que j'ai vu là bas était différent de ce que j'ai pu voir ailleurs.

    Sur ce je ferme les commentaires de ce billet.

    RépondreSupprimer
  16. @ Manuel : Ah, enfin, la démocratie reprend ses droits ;)

    RépondreSupprimer
  17. Pas de démocratie, je suis le dictateur de mes billets.

    RépondreSupprimer
  18. @ Manuel : encore un trait de la culture japonaise, ça...

    RépondreSupprimer
  19. Qu'est-ce que c'est que ces conneries? La culture japonaise anti-démocratique..?

    RépondreSupprimer
  20. @ Manuel : un seul parti au pouvoir depuis 60 ans, c'est pas un signe d'une démocratie en pleine forme, non ?

    RépondreSupprimer
  21. Et nous, on a eu un intermède Mitterrand, homme de gauche ou de droite selon le point de vue, sinon c'est RPR-UMP...
    Le Japon est une démocratie a-politique, les gens ne s'y intéressent pas et jusqu'à présent tout allait bien, on va bien voir comment la situation va évoluer avec cette crise qui, apparemment provoque quelques mécontentements inhabituels...

    RépondreSupprimer
  22. @ Manuel : il paraît que le PS local va l'emporter aux prochaines élections. Comme quoi, même au Japon, les choses changent...

    RépondreSupprimer
  23. Ouais enfin, à mon avis, le ps local c'est du même acabit qu'un Obama, mais ça serait bien, un peu de changement.

    RépondreSupprimer
  24. @ Manuel : déjà, une alternance, cela aère un système.

    RépondreSupprimer
  25. Je suis d'accord, mais c'est dommage que ce soit une situation de crise extrême qui aboutisse à cette alternance.
    J'aimerais prendre le pouls des japonais, pour ce que j'en sais, ils s'en tamponnent de la politique, peut-être ont ils changé depuis 2004...

    RépondreSupprimer
  26. @ Manuel : en ce moment, les lignes bougent...

    RépondreSupprimer
  27. Espérons que l'extrême droite ne profitera pas de cette crise, le nationalisme est très fort au Japon, et les japonais pourraient très rapidement se tourner vers lui.

    RépondreSupprimer
  28. @ Manuel : ça, c'est un risque réel.

    RépondreSupprimer
  29. @ Manuel : Je vais partir dans 2 semaines au Japon pour y vivre un mois, chez un ami implanté là-bas. Une envie de partager quelques "tranches de vies" nippones. De voir comment des hommes identiques vivent différemment. La société japonaise est plus intéressante que le fuji-yama... Autant dire que ton billet m'a intéressé au plus haut point !
    Si tu as publiés d'autres textes sur tes expériences japonaises, ça m'intéresse. Et si tu as le temps de m'écrire quelques conseils ou endroits à fréquenter, n'hésite pas mon email est p.guignard(at)gmail.com
    arigatoo ;)

    RépondreSupprimer
  30. Bonjour vends tu toujours dans la rue a Tokyo?
    si oui j'aimerais bien venir te voir,
    axebeast@hotmail.com
    n'hésite pas a m'écrire
    j'ai beaucoup apprécie ton ''billet'' nous avons un peu la meme facon de voir les choses,
    merci,
    Julien

    RépondreSupprimer
  31. Non, je suis de retour au bercail depuis quelques années déjà...
    Mais toi tu y es apparemment, merci pour le compliment.

    RépondreSupprimer
  32. Très bien raconté, j'aime bien cette histoire, c'est vrai que la france devient de plus en plus pitoyable il nous faudrait d'autres moyens de survies comme celles du japon, certes les japonais ne clémandent pas mais ils gagnent en dignité en travaillant comme ils peuvent, ce n'est pas l'argent le plus important dans cette histoire.

    RépondreSupprimer