Je voudrais revenir sur l’affaire Continental. Comme tu le sais sans doute, cher lecteur, l’entreprise a annoncé la suppression de nombreux emplois et la fermeture de l’usine que possède l’entreprise dans l’Oise. Le secteur souffre gravement de la chute des ventes de l’automobile consécutive à la crise du crédit.
L’exemple a frappé, bien plus encore que celui de l’affaire Total. En effet, les salariés de cette entreprise avaient accepté de remettre en cause leurs droits (35 heures et RTT) pour travailler 40 heures payées pareilles que 35 heures, dans le but de sauver leurs emplois. Les médias se sont gaussés, dans ce contexte de crise, de l’échec de cette stratégie : les salariés perdent leurs emplois comme avant, et sans aucun avantage gagné.
Pour moi, les salariés de Continental ont été victimes aussi d’une dégradation permanente menée par l’ensemble des corps médiatiques et élitistes, de la valeur du travail.
Quel était le discours de Continental ? "Globalement, votre travail est sans valeur réelle. Un ouvrier chinois ferait la même chose, et il travaillerait 20 heures de plus par semaine, sans nous ennuyer avec vos demandes permanentes car au moins, eux, ils n’ont pas de syndicats. Or, nous sommes bien gentils, nous avons une éthique, et nous vous proposons de conserver vos emplois en échange d’une remise en cause de vos droits qui préservera nos profits."
En soi, le deal a pu sembler séduisant à nos ouvriers de l’Oise, d’autant plus que les emplois industriels disparaissent depuis le début des années 1980. Cependant, au final, quel résultat ? Ils ont travaillé deux ans de plus à 40 heures, et maintenant, ils sont virés. Lorsque l’activité repartira, si Continental existe toujours, ouvrira sans doute un belle usine en Europe de l’Est ou en Chine, exploitant pour moins cher les ouvriers locaux.
Cette situation vient du fait que les personnes ayant des emplois peu valorisés par la société ont perdu toute fierté dans leur travail, et toute confiance en elles-mêmes. S’estimant encore chanceux d’avoir un travail, et voulant tout faire pour le conserver, ils étaient prêts à accepter beaucoup. Ce manque de fierté des travailleurs du bas de l’échelle, je le vois tous les jours dans les classes. De nombreux parents s’estiment totalement dévalorisées, et espèrent que leurs enfants seront médecins. Devant l’échec de leurs gosses, ils sont dans une honte terrible, pensant que leur enfant fera le même travail infâme qu’eux. Pourtant, sans tous ces boulots, comment notre société fonctionnerait-elle ? On ne peut pas faire tourner une société développée comme la nôtre avec des employés des services, des cadres et des fonctionnaires. Contrairement à ce qu’on nous dit souvent, nous sommes toujours dans une société industrielle, même si l'industrie ne ressemble plus à celle des années 1950.
Ce qui a changé, c’est simplement la localisation de nos industries employant des ouvriers peu qualifiés : maintenant, notre appareil productif est en Chine, où la merveilleuse société socialiste chinoise aide nos capitalistes occidentaux à maximiser leurs profits. Je ne vais pas blâmer Continental ni aucune autre entreprise de faire ces choix. Contrairement à d’autres, je trouve que cette situation est cohérente. Les entreprises capitalistes servent à dégager du profit pour des actionnaires, et les responsables sont ceux qui nous ont fait croire qu’une boite pouvait avoir une éthique autre que celle-là.
Le problème se localise plutôt au plan politique : ce sont nos gouvernements qui ont mis en place cet écrasement des plus faibles et des plus pauvres ici, et cette exploitation des encore plus pauvres là-bas. Ce sont nos hommes politiques qui ont choisi de ne plus agir de manière trop forte sur l'économie. Ce sont nos dirigeants qui préfèrent agiter la menace de l'immigré, du musulman ou de l'ouvrier chinois que d'assumer leurs responsabilités.
Ce processus touche même les classes moyennes. Je le vis tous les jours dans l’enseignement, où la dévalorisation permanente menée par les pouvoirs sur notre travail touche les collègues et finit par nous faire accepter beaucoup de choses, et encore avons-nous la protection de l'emploi qui nous permet de résister un peu. Cette crise devrait nous permettre de revenir là-dessus et de reprendre conscience que le politique reste au centre des choses.
Je sais qu’il est très difficile, dans un monde où tout le monde vous dit le contraire, d’être fier de son travail, mais je reste assez persuadé que c’est en étant fier de soi et de son ouvrage, quel qu’il soit, qu’on en arrive à la conscience sociale et à l’engagement dans des luttes. Le capitalisme est devenu plus libre parce que les plus faibles et les classes moyennes ont perdu leur fierté d’eux-mêmes et de leur utilité sociale. Le travail de reconquête doit commencer là.
Ah, si seulement, à gauche, on s’en rendait un peu compte…
L’exemple a frappé, bien plus encore que celui de l’affaire Total. En effet, les salariés de cette entreprise avaient accepté de remettre en cause leurs droits (35 heures et RTT) pour travailler 40 heures payées pareilles que 35 heures, dans le but de sauver leurs emplois. Les médias se sont gaussés, dans ce contexte de crise, de l’échec de cette stratégie : les salariés perdent leurs emplois comme avant, et sans aucun avantage gagné.
Pour moi, les salariés de Continental ont été victimes aussi d’une dégradation permanente menée par l’ensemble des corps médiatiques et élitistes, de la valeur du travail.
Quel était le discours de Continental ? "Globalement, votre travail est sans valeur réelle. Un ouvrier chinois ferait la même chose, et il travaillerait 20 heures de plus par semaine, sans nous ennuyer avec vos demandes permanentes car au moins, eux, ils n’ont pas de syndicats. Or, nous sommes bien gentils, nous avons une éthique, et nous vous proposons de conserver vos emplois en échange d’une remise en cause de vos droits qui préservera nos profits."
En soi, le deal a pu sembler séduisant à nos ouvriers de l’Oise, d’autant plus que les emplois industriels disparaissent depuis le début des années 1980. Cependant, au final, quel résultat ? Ils ont travaillé deux ans de plus à 40 heures, et maintenant, ils sont virés. Lorsque l’activité repartira, si Continental existe toujours, ouvrira sans doute un belle usine en Europe de l’Est ou en Chine, exploitant pour moins cher les ouvriers locaux.
Cette situation vient du fait que les personnes ayant des emplois peu valorisés par la société ont perdu toute fierté dans leur travail, et toute confiance en elles-mêmes. S’estimant encore chanceux d’avoir un travail, et voulant tout faire pour le conserver, ils étaient prêts à accepter beaucoup. Ce manque de fierté des travailleurs du bas de l’échelle, je le vois tous les jours dans les classes. De nombreux parents s’estiment totalement dévalorisées, et espèrent que leurs enfants seront médecins. Devant l’échec de leurs gosses, ils sont dans une honte terrible, pensant que leur enfant fera le même travail infâme qu’eux. Pourtant, sans tous ces boulots, comment notre société fonctionnerait-elle ? On ne peut pas faire tourner une société développée comme la nôtre avec des employés des services, des cadres et des fonctionnaires. Contrairement à ce qu’on nous dit souvent, nous sommes toujours dans une société industrielle, même si l'industrie ne ressemble plus à celle des années 1950.
Ce qui a changé, c’est simplement la localisation de nos industries employant des ouvriers peu qualifiés : maintenant, notre appareil productif est en Chine, où la merveilleuse société socialiste chinoise aide nos capitalistes occidentaux à maximiser leurs profits. Je ne vais pas blâmer Continental ni aucune autre entreprise de faire ces choix. Contrairement à d’autres, je trouve que cette situation est cohérente. Les entreprises capitalistes servent à dégager du profit pour des actionnaires, et les responsables sont ceux qui nous ont fait croire qu’une boite pouvait avoir une éthique autre que celle-là.
Le problème se localise plutôt au plan politique : ce sont nos gouvernements qui ont mis en place cet écrasement des plus faibles et des plus pauvres ici, et cette exploitation des encore plus pauvres là-bas. Ce sont nos hommes politiques qui ont choisi de ne plus agir de manière trop forte sur l'économie. Ce sont nos dirigeants qui préfèrent agiter la menace de l'immigré, du musulman ou de l'ouvrier chinois que d'assumer leurs responsabilités.
Ce processus touche même les classes moyennes. Je le vis tous les jours dans l’enseignement, où la dévalorisation permanente menée par les pouvoirs sur notre travail touche les collègues et finit par nous faire accepter beaucoup de choses, et encore avons-nous la protection de l'emploi qui nous permet de résister un peu. Cette crise devrait nous permettre de revenir là-dessus et de reprendre conscience que le politique reste au centre des choses.
Je sais qu’il est très difficile, dans un monde où tout le monde vous dit le contraire, d’être fier de son travail, mais je reste assez persuadé que c’est en étant fier de soi et de son ouvrage, quel qu’il soit, qu’on en arrive à la conscience sociale et à l’engagement dans des luttes. Le capitalisme est devenu plus libre parce que les plus faibles et les classes moyennes ont perdu leur fierté d’eux-mêmes et de leur utilité sociale. Le travail de reconquête doit commencer là.
Ah, si seulement, à gauche, on s’en rendait un peu compte…
Merde ! ça fait trois heures que je cherche un moyen de troller ce billet, et y a pas mèche !
RépondreSupprimerTu baisses, mon pauvre Didier, tu baisses...
Quoi ??? Didier, vous seriez... d'accord ?
RépondreSupprimerHum...
J'ai un profond désaccord avec ce billet.
RépondreSupprimerJe ne crois pas du tout que "Cette situation vient du fait que les personnes ayant des emplois peu valorisés par la société ont perdu toute fierté dans leur travail, et toute confiance en elles-mêmes."
Je pense que c'est plutôt du à l'histoire des rapports de force entre les employeurs et les salariés, au capitalisme mondialisé et même à l'incompétence des syndicats, divisés, dépassés, et démobilisés.
Je ne crois pas non plus qu'on puisse parler de rendre de la fierté pour certains boulots qui ont fait de l'ouvrier un tâcheron, avec des tâches parcellisées, déshumanisées, et abrutissantes.
Je pense que parfois au contraire, il faut démythifier le boulot et expliquer qu'un certain désengagement permet de prendre de la distance par rapport à un discours qui ne sert qu'à la servitude (l'esprit maison et tutti quanti, l'intérêt de la boite c'est aussi vos intérêts, ...).
Sur le passage où tu parles des classes moyennes et surtout des fonctionnaires : je constate de jour en jour qu'au delà d'une "fierté perdue", il y a surtout une perte du sens du collectif, une délégation de la contestation et encore ... des syndicats embourbés dans leurs contradictions, leurs gueguerres internes et intersyndicales et leur paresse militante.
Et les syndicats, ce sont les collègues, ce sont nous.
Bon, n'importe comment, c'est un billet où il y aurait énormément de choses à dire !
@ Audine : des réflexions intéressantes et qui ne me semblent pas en total désaccord avec ce que je dis. Il faut que je fasse d'autres billets sur ce thème et que je précise ma pensée.
RépondreSupprimerMon ancien travail me mettait en relation avec des travailleurs frontaliers suisses, et sans entrer dans les détails, un détail m'a marqué, c'est que quasiment tous ont insisté sur le fait que si le temps de travail était plus long, si le salaire était plus élevé, la relation patron/employé était tout à fait différente.
RépondreSupprimerJ'ai l'impression qu'il y a une relation hiérarchique saine.
L'ouvrier est remercié, les patrons organisent des repas, des sorties, à la fin d'un chantier, on remercie les ouvriers pour leur travail autrement que par le salaire. Ça n'est pas un point de détail, c'est hautement valorisant et motivant de s'entendre dire "Merci, bon boulot", chose que moi-même n'ai jamais entendu en France.
Ben c'est ce qu'ils ont fait chez Continental : on leur a dit merci bon boulot et on les a remerciés.
RépondreSupprimer@Mathieu
RépondreSupprimerPour une fois je crois que le rôle des profs est aussi à souligner dans ce problème lié à l'appréhension du travail "manuel"...
Qui n'a pas entendu ses profs lui répéter sans cesse que la seule vraie voie d'excellence c'est un Bac S ?
Qui nous a mis dans la tête depuis le collège que les voies professionnelles sont dégradantes et réservées aux neuneus incapables d'aligner trois mots cohérents sur une copie ?
C'est facile de pointer les autres comme responsables, mais il faut aussi savoir reconnaître ses responsabilités mon ami prof...
Tout à fait d'accord Fabrice.
RépondreSupprimer@ Manuel : cet aspect est très important, mais il ne règle pas tout à mon sens. La valorisation se fait quand même surtout par le salaire et les conditions de travail.
RépondreSupprimer@ Fabrice : je ne nie absolument pas ça. La France est un pays élitiste, et les profs sont bien dans le moule.
@Mathieu
RépondreSupprimerTu ne le nies pas mais tu "oublies" de trop revenir dessus... m'enfin je ne vais pas t'(en vouloir hien, tu défends ta chapelle ! :)
@ Fabrice : bof, certains collègues sont lourds avec ce type de raisonnements, mais les mentalités sont longues à faire évoluer...
RépondreSupprimerRien ne règle tout, mais à partir du moment où cela règle quelque chose, on agit, et rien ne bouge.
RépondreSupprimer@ Manuel : ton dernier commentaire est obscur...
RépondreSupprimerSous prétexte qu'une appréhension du travail manuel différente à l'école ne règlerait pas tout, tu donnes l'impression de préférer l'immobilisme à ce niveau.
RépondreSupprimerJe dois avouer que j'ai partagé le sentiment de Manuel à la lecture de ta réaction cher Mathieu...
RépondreSupprimer@ Fabrice et Manuel : je ne nie pas le problème. On peut toujours obliger les enseignants qui n'y croient pas à dire que le professionnel, c'est génial. Maintenant, tant que toute la société pense le contraire, l'impact risque d'être plus que limité...
RépondreSupprimer@ Mathieu
RépondreSupprimerMais justement, si on apprend pas aux gosses que le travail manuel n'est pas une honte on ne risque pas de changer l'opinion de la société ! (et de plus : quelle société au juste ? n'importe qui d'un peu intelligent en plus de cultivé réalise vite qu'un plombier touche plus qu'un prof...)
Tout cela donne vraiment l'impression que vous vous cachez derrière votre petit doigt pour ne pas avoir à remettre en question votre vision de l'accomplissement personnel...
@ Fabrice : je ne me cache nulle part. Je dis juste que les profs n'ont pas vraiment d'influence sur ces choses-là. Aujourd'hui, le discours négativistes de certains enseignants là-dessus passe parce que les familles écoutent cela avec complaisance. Les enseignants, à mon sens, n'ont de l'impact que parce qu'ils vont dans le sens du vent. Si le vent tourne, les enseignants ne seront plus audibles là-dessus.
RépondreSupprimerMaintenant, je souhaite vivement que mes collègues réac bougent là-dessus, mais il n'y a pas de discours clair de l'administration qui les obligerait à changer leur fusil d'épaule.
Quand les profs veulent faire tourner le vent eux-mêmes, ils vont dans la rue, ils ne pas aussi impuissant que tu le dis.
RépondreSupprimer@ Manuel : les profs n'ont pas gagné une seule épreuve de force depuis 2002.
RépondreSupprimerIls ralentissent certaines décisions et provoquent des compromis.
RépondreSupprimer@ Manuel : ralentissement oui. Compromis bof.
RépondreSupprimer@Mathieu, j'ai pas d'exemple en tête mais tu ne vas pas me dire que jamais vous n'avez réussi à faire reculer une réforme de l'éducation nationale quand même?!
RépondreSupprimerJe compte sur ta bonne foi au contraire de la mauvaise foi d'un certain Fabrice...
@ Manuel : si, mais on jamais réussit depuis 2003 à infléchir le sens global de la politique menée. Et c'est cela, le plus important.
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